La première navigation vue par...

Par Sophie.
Baptême de mer

3 nuits, 2 jours en mer pour traverser le Golfe de Gascogne, retour sur cette première traversée à bord de Seaview.

Formalités d’usage pour Camille et Manon deux heures après le départ : leurs estomacs sont malmenés après le passage du dernier phare d’Oléron, aux portes de l’Atlantique, quand la houle commence à se creuser. Un “dîner” frugal s’impose : ce sera bol de riz sur le trampoline. Les filles se réjouissent du programme. La mer est belle, teintée par le coucher du soleil. Nous avançons sous GV et gennaker par 9/10 noeuds de vent.
Les émotions du départ ont laissé place à la liberté et la joie d’être sur l’eau. Nous profitons du moment présent et réalisons que l’aventure commence maintenant.

Première nuit de quart assez fluide au moteur. A 9h, un couple de dauphins vient jouer à la proue du bateau. Nous réveillons Camille et Manon qui ne cessent de s’extasier devant un tel spectacle. Ils seront bientôt 4, puis 13 à filer devant le bateau. Moment de grâce pour les petits comme pour les grands.

Les dauphins donneront le la de cette première journée de nav sous le soleil, très paisible – toujours au moteur par manque de vent. Lecture, sieste, travaux manuels pour Camille et Manon, re-sieste et même film en famille devant Zarafa. On récupère du manque de sommeil des derniers jours.

En soirée, le vent se lève. La mer commence à se former. Nous sortons la GV. Cette deuxième nuit sera plus mouvementée. Je dors mal lorsque Jules assure les quarts à l’extérieur. Couchée dans le carré, j’expérimente le sommeil fragmenté par tranche de 5/ 10/15mn tout en veillant à distance sur le Capitaine. Vers 1h, je me réveille en sursaut, scrute la barre tribord : personne. Balayage sur babord : personne. Dans la seconde qui suit, je me dresse comme un “i” et me rue dans le cockpit. Il fait nuit noire, l’air est frais, personne aux manoeuvres. J’appelle Jules. Seuls les paquets de mer désordonnée claquant les jupes arrière du bateau font échos. Je rappelle à nouveau et tente de rester calme même si mon coeur s’emballe. L’opacité de la nuit est pesante. Je me précipite dans le carré. En scrutant l’avant, j’aperçois le capot de la salle de bain allumé… Une lumière dans la nuit. Je dévale les 3 marches de notre cabine et me précipite dans la deuxième partie du flotteur. Et là, Jules, placide, me lance : “t’es déjà debout ?”
Premier coup de flip, il y en aura d’autres.

Finalement, le corps s’adapte. Nos horloges biologiques s’accoutument au sommeil fragmenté par tranche de 15/20mn. La minuterie de l’iphone rythme désormais nos nuits et selon l’humeur - et la forme - on se montre plus ou moins réactif. Je remporte la palme de la réactivité mais pas celle de l’efficacité.
Alerte, en ½ seconde, je bondis sur mes 2 pattes avec l’agilité d’une biche traquée, prête à fouler le sol du cockpit et vérifier les extérieurs. Et… “paf, la biche !”.
Cette nuit-là, un détail m’échappe. La température nous a contraint à fermer la baie vitrée qui sépare le carré (où nous dormons les nuits de quart) du cockpit. Dans mon élan entousiate, je me heurte en pleine face contre la vitre. Le pain de glace sur le nez aura le mérite de me tenir éveiller une partie de mon quart.

Dernière partie de nuit passée à slalomer avec un bateau de pêche qui a décidé de nous contrarier. Il suit notre trajectoire depuis deux heures et ne répond pas par VHF. On se déroutera légèrement pour s’en débarrasser.
La nuit des filles aura été plus douce : elles émergent vers 9h30 après avoir fait le tour du cadran. Leur capacité d’adaptation est impressionnante : elles sont particulièrement calmes, ne se chamaillent pas et s’occupent de manière relativement autonomes.

La deuxième journée en mer nous semblera plus longue. Temps gris, le vent forcit pour flirter avec les 18/20 noeuds. La mer est très désordonnée. Le soir, on s’offre une escapade culinaire asiatique – entorse à notre régime riz/pâtes/semoule/bananes : des nouilles chinoises, c’est la fête ! (Sylvain, la livraison en 5mn fonctionne aussi au milieu du Golfe de Gascogne ; ) )

Troisième nuit en mer chahutée. Le vent oscille entre 16 et 20 noeuds, les vagues atteignent 2,5/3 mètres, sommes toujours sous GV et gennaker. La houle est formée, les pêcheurs et leurs filets sont au rendez-vous. Alors que la fatigue commence à se faire sentir, nous devons redoubler de vigilance. Impossible de dormir : les vagues claquent avec violence sur les coques du bateau et la valse capricieuse des pêcheurs nous tourmente. Leurs AIS ne sont pas toujours perceptibles sur l’écran de contrôle.
Vers 5h du matin, bizutage de Poséïdon à quelques milles de l’arrivée. Plus une goutte d’eau douce ne s’écoule des robinets ! La forte houle a désaxé un tuyau et les réservoirs se sont écoulés dans le flotteur babord en fond de cale.
Mon premier réflexe : sauver notre “or noir” – les deux sacs de pharmacie. Notre hôpital ambulant est conditionné dans deux sacs censés être étanches. En ouvrant la cale, je découvre deux radeaux à la dérive. Une fois au sec, je déballe les deux sacs noirs : aucune trace d’eau dans chacune des dix trousses. Je réalise avec soulagement que le concept d’étanchéité prend ici tout son sens.

Ragaillardis par cette bonne nouvelle, nous voilà partis à évacuer 250 litres d’eau avec sceaux et pompe manuelle. Jeter de l’eau douce par dessus bord, quel paradoxe pour un marin. Quelques dizaines de sceaux plus tard, la cale est “sèche”, nous sortons la tête de l’eau et remontons prendre l’air. Le jour se lève paisiblement. En arrivant près du poste de barre, je lève la tête et suis saisie d’émotion : la terre de Galice nous tend ses bras. Nous sommes arrivés.


Par Jules

Nous sommes donc partis un peu plus tôt que prévu pour rester dans un régime de vent de Nord-Est. Il était impensable pour moi de commencer notre voyage avec du vent et de la houle de face, sous peine de dégouter tout le monde (moi y compris).
La contrepartie de ce départ anticipé: un vent assez faible au début, et surtout l'obligation d'arriver mercredi matin avant la dépression. Il ne fallait donc pas trainer et je m'étais préparé à faire une bonne partie au moteur.

Après quelques milles, on sort les seaux pour Camille et Manon qui se sont vidées l'estomac. Mais elles ont rapidement retrouvé le sourire qui ne les a plus quittées jusqu'à la fin et elles pouvaient sans problème regarder un film dans le carré. Elles ont assuré pendant toute la traversée: pas de disputes, de longues nuits, pas de "c'est quand qu'on arrive"… Des enfants modèles.

Première partie de nuit très agréable sous gennaker sans trop de houle. Au fur et à mesure de notre avancement, le vent baisse, s'oriente pile dans notre trajectoire et une houle croisée se met tranquillement en place. On essaie toutes les configurations possibles sous voile pour tenir notre moyenne imposée (arriver avant la dépression!). Mais le vent est trop faible à cette allure pour que les voiles plaquent un peu le bateau qui se fait donc balader au gré des vagues. Les voiles claquent sans cesse et on se traine en dessous de 5nds. On affale donc tout et on se met au moteur.
Au petit matin, des dauphins viennent nous rendre visite: je réveille vite les filles pour en profiter tous ensemble. On est toujours au moteur, mais c'est quand même le bonheur!
La journée se passera à lézarder au soleil, sans croiser personne. Tranquille.

La deuxième nuit est plus tendue. Il y a des bateaux de pêche et des filets PARTOUT. C'est une sorte de slalom géant. On essaie de dormir par tranche de 15mn devant l'écran de l'AIS (transpondeur pour le trafic maritime) et en surveillant les points lumineux à l'horizon. J'ai compté jusqu'à 12 cibles différentes dans un rayon de 15 milles (30km). Nous nous retrouvons à la limite des eaux françaises et espagnoles et c'est amusant d'observer les français pêcher dans les eaux espagnoles et les espagnols l'inverse. L'herbe semble toujours plus verte ailleurs…

Le lendemain, le vent monte progressivement comme prévu, le temps est bouché, la houle grossit en étant toujours aussi désordonnée. 20nds plein arrière et houle de plus de 2m, cela secoue. J'ai dû sortir veste et pantalon de ciré (on envie ceux qui partent de Méditerannée!). La navigation est grisante (un surf à 15nds!) et nous prenons petit à petit confiance dans le bateau qui réagit assez bien à cette houle. Le comportement est sain, les vagues ne tapent pas trop sur la nacelle. Le pilote automatique ne s'en sort aussi pas trop mal. C'est le vrai baptême en mer "ouverte".
Ces conditions ne nous quitteront plus jusqu'à la fin.
Les filles s'accommodent parfaitement de la situation. Elles aimeraient juste pouvoir faire un vrai repas sans se cramponner à leur bol de riz blanc qui a une fâcheuse tendance à se faire la malle de la table.

Les bateaux de pêche sont moins présents pendant la dernière nuit, mais on voit maintenant des cargos, qui sont plus facilement évitables (du fait de leur cap et de leur vitesse constants). Les conditions sont toujours bien toniques et personne n'imagine ici rencontrer ces conditions de face.

Petite surprise au moment d'arriver dans la baie de la Corogne. "Ya plus d'eau qui coule du robinet!". Je m'aperçois vite que nos réservoirs se sont déversés dans les cales bâbord. Avec le vacarme des vagues, personne n'a entendu le groupe d'eau qui tournait dans le vide pour essayer de remettre la pression dans le circuit. Le coupable est vite trouvé: un tuyau s'est complètement déconnecté du fait de colliers vraisemblablement très mal serrés. Rapidement écopé et réparé. Rien n'a souffert car tout était bien réparti dans des caisses. Seuls les cartons des cubis de rosé sont partis à la poubelle. Il ne reste que les poches plastiques et le contenu :)
Je suis bon pour faire un check-up de tout le bateau avant de repartir.

L'arrivée se fera au petit matin, exactement au moment de la bascule de vent annonçant l'arrivée de la dépression (les prévisions se sont révélées très fiables): on appareille donc à la Corogne très facilement et on va pouvoir bien se reposer en entendant le vent souffler dans la marina Nautico située en plein centre ville. Mission accomplie.

Je suis super fier des filles et de Sophie.
Le voyage a vraiment commencé.

Bilan: 378milles (700km) en 63H.

PS: Pour ceux qui auraient suivi les préparatifs, sachez que la canne à pêche n'a pas été sortie. Personne ne se voyait vider un poisson avec nos estomacs encore un peu fragiles…

Au rayon bricolage, j'ai aussi testé en navigation le nettoyage du filtre à eau de mer d'un des moteurs qui s'était déjà bien encrassé à la Rochelle (avec du coup quelques fumées blanches une fois le moteur bien chaud).


DSC04129DSC04143DSC04169DSC04201



blog comments powered by Disqus